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Vent d'Oeil
24 février 2013

Les Mauvais Esprits de Huahai LU

S’il est des lieux où souffle l’esprit, il en est aussi abandonnés des Dieux, des muses, ou de toute forme d’inspiration quelque peu bienveillante, ou pire, hantés dont on ne sait quels esprits sournois et pervers, vaudous insidieux et efficaces qui paralysent la création photographique comme une mauvaise fièvre, la réduisent en lambeaux visuels, rendent toute image illisible, fade, bouillonneuse, borgne ou inutile.

Je crois fermement qu’il existe un dieu de la photographie ; Quelque chose d’indicible bien sur, une force, une puissante suggestion photonique, peut-être l’esprit de Grands Anciens qui planerait parfois autour de nous, qui lorgnerait dans nos viseurs, et imbiberait la chimie de nos pellicules ou cisellerait l’articulation de nos pixels ; puis nous soufflerait quel chemin suivre au bout d’une rue sans repère, et crierait « shoot !», comme un supporter de football enragé s’époumone lorsque l’attaquant s’approche de la surface de réparation.

Dans ces lieux de nulle part que j’affectionne tant, j’imagine Walker Evans cheminant à mes cotés, la mine grave et l’œil sévère, ou plutôt, soufflant derrière mon épaule, commentant mes visées d’un air que je devine bougon ; ou bien m’enjoignant, désinvolte, de marcher, là-bas, jusqu’au prochain carrefour, de tourner sous ce pont, parce qu’une photo se cherche et se mérite, toujours au bout de quelque chose, sorte de palourde solitaire qu’il nous faut pécher dans la marée infinie de la ville. Souvent, il m’arrive de me donner ce simple défi, comme ca, histoire de voir, d’aller jusqu’à un horizon ciblé, alors que rien n’y attire l’œil, de bifurquer, de prendre des chemins isolés, de longer des voies rapides sans intérêt autre que la poussière qu’on y avale au rythme intriguant des camions ; et soudain, de découvrir derrière un mur ou un parapet, un vieux marché invisible de la rue, comme à Delhi en Novembre dernier, ou une stèle urbaine récemment sur Minhang.

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Mais hélas, il semble qu’il y ait aussi des lieux promis à un athéisme pictural féroce, ou voués au culte sordide de l’empêchement des pratiques sereines de la photographie. A Shanghai, Huahai Lu en fait surement partie.

Pour qui ne connait pas Shanghai, Huahai Lu (anciennement avenue Joffre), est une belle avenue qui parcours la ville d’ouest en est, et réciproquement, traversant l’ancienne concession française. A toute heure, il y a foule sur la Huahai Lu, principalement des badauds, mais aussi des gens du quartier ; boutiques de luxe, pharmacies, restaurants, immeubles modernes ou plus traditionnels, c’est une belle rue, à la luminosité toujours intéressante, et il s’y passe toujours quelque chose : démonstrations ou foires commerciales, soldes, queue de cinéma impatiente, simplement le mouvement de la foule. Les panneaux visuels y abondent, la couleur aussi, le bruit bien sur domine, et les inévitables travaux Shanghaiens apportent leur lot d’embarras et de détours ; bref, c’est une de ces avenues qui fondent la Grande Ville, comme la Cinquième Avenue ou les Grands Boulevards parisiens.

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Normalement, cela devrait être un terrain rêvé pour de la bonne photo de rue. Seulement voila, je n’ai jamais réussi à en ramener une seule image valable, ni même à m’y sentir a l’aise. J’y suis retourné à plusieurs reprises, et chaque fois que je m’y promène, car je suis aussi promeneur, je n’oublie pas d’emmener un appareil. J’ai tout essayé, SLR, DSLR, Compact digital et numérique, même le vieux Rollei. Rien n’y fait, un vide désespérant s’installe dans les images, à croire que l’objectif de l’appareil ne l’est pas tant que ca.

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Apres réflexion, je me suis dit que le mal qui ronge mes yeux pouvait provenir de la différence fondamentale qui existe entre passants et badauds : car là où le passant passe, le badaud badine. Cela semble ridicule, mais nous parlons de deux univers fondamentalement différents. Le passant m’a toujours intéressé, je lui ai consacré plusieurs séries, à Paris ou à New-York, car il passe, vient dont ne sait où, mais se rend…quelque part. Il a un but, ou il s’en donne un, lui seul le connait, ou feint de le connaitre ; il a une tête de circonstance, et puis, au fond, nous sommes tous des passants, car la vie n’est qu’un vaste passage. Un badaud lui... fait n’importe quoi. Il déambule, s’arrête, rigole, crache, se casse la figure, mais il ne porte jamais en lui ce rythme inexorable, soutenu, inaltérable, du passant.  Visuellement, cela change tout. Mais cela n’explique rien, car un photographe non totalement usurpateur doit avant tout savoir s’adapter.

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Alors, j’ai acquis la conviction d’être la victime d’un sort jeté par un mage local, appelant de ses ondes un Dieu oublié qui plongerait ses savoirs dans la boue du Huangpu, et s’acharnerait à détourner les images de certaines parties de la ville moderne. S’il existe des photographes maudits, comme les artistes ou les rois du même nom, alors oui, j’en suis.

J’ai bien pensé recourir aux pratiques locales, et donc à accompagner chacune de mes prises de vue d’un lâcher sonore de pétards et de feux d’artifice, comme cela se fait en Chine pour tout événement important, afin de chasser les mauvais esprits ; ou alors à attacher un balai ou une gousse d’ail à mon sac. Mais des amis avertis me l’on déconseillé.

J’ai prié Robert Frank, Joël, Gary, Vivian, Bobby Doisneau, même le vieil Ansel, (toujours de bon secours), rien n’y a fait.

Je suis têtu, cela me prendra le temps qu’il faut, mais j’en ferai une, rien qu’une, peut-être d’ailleurs au cœur de la nuit, quand la foule sera devenue reflets falots dans les vitrines éteintes, et que les esprits goutteront au sommeil de l’injuste.

Mais, Walker, Oh my Walker !! Pourquoi m’as-tu abandonné ?

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